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Désenchantés par leur premier emploi, ils se réorientent illico

Source : https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/metiers-reconversion/desenchantes-par-leur-premier-emploi-ils-se-reorientent-illico-1348573

26 % des diplômés de 2019 en emploi interrogés par l’Apec déclarent occuper un poste qui ne correspond pas à leur niveau de qualification (contre 18 % pour la promotion précédente). (iStock)

Publié le 23 sept. 2021 à 7:02Mis à jour le 23 sept. 2021 à 10:19

« Sur le papier, ce premier emploi était excellent, pour ne pas dire inespéré », raconte Dorian. Fraîchement diplômé, il décroche à 24 ans un poste de manager dans un grand CHU (centre hospitalier universitaire) fin 2019. On lui confie les rênes d’une équipe d’une trentaine de personnes.

Pourtant, quelques semaines avant de prendre ses fonctions, le jeune homme n’est pas très enthousiaste. La raison : il a commencé à douter de son avenir dès sa première année de master en droit et économie de la santé. « Ce master, je l’ai fait sans trop réfléchir parce que c’était la suite logique de ma licence, glisse-t-il. J’ai trouvé que beaucoup de cours n’avaient pas d’intérêt, et je me demandais souvent ce que je faisais là. »

Pourquoi avoir persisté ? « J’avais déjà un an de retard car je m’étais réorienté après une année en STAPS, justifie-t-il. Je me voyais mal changer de nouveau de cursus. J’espérais que ça me plaise une fois sur le marché du travail. »

Se réorienter après un contrat de huit mois

Après seulement deux semaines à l’hôpital, Dorian est catégorique : « Je me suis dit que ce secteur n’était pas fait pour moi. Je savais que je ne renouvellerais pas ma mission à la fin de mes huit mois de contrat. » Lui qui voulait un métier « tourné vers l’humain et utile » est cloué à son siège toute la journée, à faire des tâches administratives, sans côtoyer de soignants ni voir la finalité de son travail.

Autre explication à sa frustration : « Des personnes étrangères demandaient à être soignées, et je devais choisir si on leur accordait des soins aux frais du contribuable ou pas. J’étais tiraillé entre la direction qui disait qu’on ne pouvait pas se le permettre et des gens en souffrance », relate-t-il. Et puis, il y a l’équipe qu’il manage, composée d’anciens soignants reclassés sur des postes administratifs. « Ils étaient là par défaut, regrette-t-il. Il y avait beaucoup d’arrêts maladie, d’ absentéisme et aucune motivation de leur côté. Je me sentais impuissant. »

Pendant toute la durée de son contrat, Dorian se questionne sur sa réelle vocation. « J’en suis arrivé à la conclusion que ce qui m’intéressait vraiment, c’était l’environnement », confie ce fondu de trail. Il songe à reprendre ses études mais s’interroge : est-ce bien raisonnable alors qu’il a un emploi, « certes peu rémunérateur au vu des responsabilités, mais avec des perspectives d’évolution » ?

Autour d’un verre, un ami lui lâche : « Tu t’en voudras davantage de ne pas essayer que de continuer ainsi. » Le déclic. Ses parents lui assurent leur soutien financier et moral. Aujourd’hui, Dorian termine un master de recherche en économie de l’environnement, heureux. A vingt-six ans, il entamera à la fin de l’année un CDD en tant qu’ingénieur de recherche.

Un premier contrat plus court qu’avant

Pour Manuelle Malot, directrice du NewGen Talent Centre de l’Edhec, le syndrome de déception du premier poste a toujours existé. « Ce qui est nouveau, c’est le passage à l’acte que s’autorisent les jeunes diplômés en en parlant et en démissionnant pour se lancer dans une formation complémentaire, pour changer radicalement de voie, entreprendre… », éclaire-t-elle.

Selon une étude de 2017 du NewGen Talent Centre, la durée du premier poste diminue pour la jeune génération. Les plus de 45 ans interrogés disaient être restés en moyenne trente-sept mois à leur premier poste, contre vingt-sept mois pour les 30 – 45 ans. Une durée qui tombe à vingt-trois mois pour les moins de 30 ans. Et qui, parfois, est en deçà.

Exemple avec Maïtena*, qui n’est restée qu’un an et demi à son premier poste de conseillère patrimoniale dans une banque privée dans le Sud-Ouest. Une expérience qui s’est soldée par un burn-out. Le deuxième pour elle, qui en avait déjà fait un lors de son stage de fin d’études « à cause de la charge de travail et du manque de reconnaissance ». Diplômée d’un master en droit et gestion de patrimoine, elle était à l’époque assistante d’ingénieurs patrimoniaux. En cause cette fois-ci : « un manager toxique », la pression pour écourter les échanges avec les clients, des remarques sexistes…

Après un arrêt maladie, elle part voyager pendant un an. L’occasion de faire le point, sérieusement. Son constat : elle a uniquement choisi le secteur bancaire par stratégie. « Mon père avait longtemps été au chômage, cela m’avait marquée, se souvient-elle. J’avais orienté mes études en fonction de là où il y avait du travail. La banque est un secteur rassurant, je me disais que j’aurais toujours un emploi, qui paie bien en plus. »

Elle réfléchit alors à un nouveau métier, plus en phase avec ses valeurs. Deux jours par semaine, elle assiste un avocat. Le quotidien de ce dernier lui plaît. Si bien qu’elle se prépare, à 29 ans, à passer l’examen du barreau en vue de devenir avocate.« Je n’ai pas su me défendre et je ne veux plus que ça m’arrive, ni aux autres, relate-t-elle. Je ne sais pas si c’est une vocation, mais j’ai trouvé un cabinet où les gens sont humains et déjà, cela change tout. »

Désillusion renforcée par la crise

Comment expliquer que cette entrée dans la vie active soit si brutale pour certains ? Cela résulte parfois du fossé entre études et monde du travail, selon Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Il observe que le modèle éducatif a beaucoup évolué ces vingt dernières années et a notamment perdu en hiérarchie. « Les étudiants se forment en groupes de travail, par exemple. Une fois diplômés, ils déboulent dans des entreprises avec des chefs, des sous-chefs. Ils ont le sentiment qu’il y a trop de process, qu’ils n’ont pas assez d’autonomie, qu’on ne leur fait pas assez confiance. Cela peut être un choc qu’ils n’avaient pas anticipé », souligne-t-il.

LES CHIFFRES CLÉS

26 % C’est la proportion de jeunes diplômés en 2019 en emploi qui disent avoir mis de côté leurs aspirations personnelles (+5 points par rapport à l’année dernière).

Pour certains, le premier contrat de travail est rude car il n’est pas à la hauteur de ce qu’ils avaient ambitionné. C’est d’autant plus vrai avec la crise sanitaire. « Sur un marché de l’emploi peu porteur, les jeunes diplômés ont fait le choix, pour être en poste, d’accepter des conditions d’emploi qui n’étaient pas toujours conformes à leurs attentes initiales », indique l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) dans son Baromètre 2021 de l’insertion des jeunes diplômés en 2019.

Ainsi 26 % des jeunes diplômés en emploi déclarent occuper un poste qui ne correspond pas à leur niveau de qualification (contre 18 % pour la promotion précédente) et 19 % un emploi qui ne correspond pas à leur discipline de formation (contre 15 %). Par ailleurs, 26 % des jeunes diplômés en emploi disent avoir mis de côté leurs aspirations personnelles (+5 points par rapport à l’année dernière).

Un quotidien éloigné de leurs réelles envies

Ces débuts de carrière chahutés peuvent aussi être la conséquence « d’un manque de questionnement et d’accompagnement sur l’orientation, et de la promotion d’un modèle unique de réussite », estime Lucie Chartouny, coautrice du « Guide des Paumé.e.s ». En 2018, alors qu’elle est salariée au sein de l’association Makesense, qui promeut l’entrepreneuriat social, elle crée la communauté des Paumé.e.s avec ses collègues Aurore Le Bihan et Simon Drouard.

L’idée : regrouper celles et ceux qui se posent « davantage de questions qu’ils ou elles n’ont de réponses » autour d’apéros et au sein d’un groupe Facebook. Ce dernier dénombre aujourd’hui plus de 19.500 membres. « Ce qu’on observe, c’est que de bons élèves ont fait des études en quête d’une certaine forme de reconnaissance et de prestige, sans forcément prendre le temps de réfléchir à leurs réelles envies, commente Lucie Chartouny. Une fois arrivés à destination, ils se rendent compte qu’ils ne prennent pas de plaisir, voire qu’ils sont en souffrance. »

Adrien, 29 ans, fait partie de ceux-là. « Poussé par [ses] proches », il fait une prépa et une école de commerce, mais sans grande conviction. Il effectue des stages en audit financier, en contrôle de gestion et en conseil en organisation. « Aucun ne m’a intéressé, mais le caractère éphémère de ces expériences m’a permis de les supporter », se rappelle-t-il.

Son diplôme en poche, il est recruté dans un cabinet de conseil. « A peine en poste, je me suis aperçu que je m’étais complètement planté dans mes études, témoigne-t-il. Je ne me reconnaissais pas dans mes collègues, dans leurs convictions et ambitions. » Son contrat s’arrête à la fin de sa période d’essai de huit mois, d’un commun accord avec son entreprise. S’est ensuivie une longue période de remise en question, « un peu angoissante ». Finalement, ce passionné de sport a changé de vie et se forme pour devenir moniteur d’escalade.

« Les cheminements professionnels contemporains sont de plus en plus délinéarisés et nomades, analyse Isabelle Olry-Louis, professeure en psychologie de l’orientation à l’université Paris Nanterre. Ils sont jalonnés par de multiples transitions entre différents emplois, mais aussi par des périodes de travail, de chômage et de retour en formation, au point de générer une remise en cause des notions de ‘carrière’ ou de ‘vocation’. »

Ces transitions, « connotées de façon dépréciative il y a quelques années encore, font désormais l’objet d’une bien meilleure valorisation sociale. Notamment parce qu’elles trouvent un écho dans les médias et sur les réseaux sociaux », ​souligne-t-elle.

Mais ces changements anticipés et choisis ne sont pas donnés à tout le monde. « C’est le privilège de ceux qui sont en haut de la pyramide de Maslow, observe Anaïs Georgelin, fondatrice de somanyWays, un programme spécialisé dans les transitions professionnelles. Pour beaucoup de gens, le travail est avant tout un moyen d’avoir un toit et de la nourriture sur la table. Ceux qui peuvent quitter leur emploi volontairement ont de hauts diplômes ou exercent dans des secteurs qui embauchent, comme la restauration. »

Des entreprises mobilisées

Comment les entreprises réagissent-elles face à ces jeunes qui veulent partir peu de temps après leur arrivée ?  Pour prévenir ces départs, nombre d’entre elles mettent en place des avantages pour favoriser leur bien-être et répondre à leur quête de sens, note Manuelle Malot. Comment ? « Avec du télétravail, la possibilité de s’investir pour une association sur leur temps de travail, d’être nomade, de faire de l’intrapreneuriat. Ou encore en leur permettant de suspendre leur contrat pendant six mois ou un an pour réaliser un projet et réintégrer ensuite l’entreprise… »On parle dans ce cas de salariés « boomerang ».

Les suspensions de contrat de six mois se démocratisent

Julie Recalde, senior manager chez Mazars

Julie Récalde, senior manager chez Mazars, va dans ce sens. « En tant que grand groupe d’audit, on a longtemps été attractifs auprès des jeunes diplômés, car on était vus comme un tremplin. Depuis quelques années, ces derniers sont plus exigeants et ne se contentent plus de l’aspect purement professionnel. Dès les phases de recrutement, ils nous demandent ce qu’on fait pour l’équilibre vie pro-vie perso et en matière de RSE », explique-t-elle.

Alors, le groupe s’adapte. Il propose à ses salariés de prendre part à des projets divers en interne, de passer un jour par an dans une association ou encore à une quinzaine de salariés d’être durant une semaine dans une start-up pour mener un projet. Le tout, sur leur temps de travail. « Aussi, les suspensions de contrat de six mois se démocratisent », poursuit-elle. Une opportunité qui permet « de prendre l’air, de voir autre chose, d’acquérir de nouvelles compétences ». Et, parfois, « de se rendre compte que l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs ».

* Le prénom a été modifié.

Chloé Marriault

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