Sur : https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/03/17/rencontres-rh-la-crise-due-au-covid-19-aura-t-elle-ete-source-d-innovations_6073414_1698637.html
Avec la pandémie, les responsables des ressources humaines ont redécouvert l’importance du collectif, de l’équité et du salariat. Les salariés, de leur côté, se sont questionnés sur l’utilité de leur travail.
Crises et innovations font toujours bon ménage. Quelles innovations cette année de pandémie aura-t-elle produites dans les entreprises ? Une quinzaine de responsables des ressources humaines se sont réunis, jeudi 11 mars, pour en débattre dans le cadre des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec LinkedIn et ManpowerGroup.
Contraintes d’adapter les organisations d’abord brutalement, en mars 2020, puis fréquemment au fil de l’évolution de l’épidémie, les entreprises sont entrées dans la première phase de l’économie de l’innovation, en inventant au fil de l’eau les réponses aux problèmes posés par les contraintes sanitaires. Les DRH ont, in fine, redécouvert l’importance du collectif, de l’équité et du salariat.
« Il a fallu réinventer le collectif de travail. Trouver la bonne dose de distanciel et de présentiel, trouver le bon moment de faire revenir les salariés sur site. Cette crise nous a rappelé que l’entreprise est un collectif humain », résume Frédérique Durand, la DRH de l’Imprimerie nationale. « On a fait des investissements sur les lieux de travail qu’on aurait jamais faits sans la crise pour créer plus de lieux de rencontres », ajoute Juliette Couaillier, directrice management des talents d’Havas Village.
Pour cadrer le débat, l’économiste Jean-Marc Daniel a rappelé le concept d’innovation tel qu’abordé par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) : « L’innovation passe d’abord par l’innovateur, puis par l’imitateur, qui joue le rôle trouble et essentiel de celui qui dit “il a raison”, et enfin par le cost-killer qui réduit la masse salariale pour arriver à un même niveau de production. Il y a des innovations de produits, des innovations de consommation – un même produit, mais plus cher –, et enfin l’innovation d’organisation. »
Sens au travail et équité
C’est cette dernière acception qui a tiré profit du Covid. La pandémie a accéléré la réflexion. Sur le réseau social LinkedIn, « les entreprises confirment que la nécessité de travailler à distance a généré de nouvelles organisations. Elles notent que la crise a révélé des talents en donnant à certains l’occasion d’exprimer des propositions disruptives, et en tant que facteur de risques a fait émerger le besoin de plus de diversité dans les profils », constate Fabienne Arata, la directrice générale de LinkedIn France.
Les salariés, de leur côté, se sont questionnés sur l’utilité de leur travail. « Seuls, isolés, ils perdaient complètement le sens de ce qu’ils faisaient. Ils ont eux-mêmes identifié les bullshit jobs [métiers à la con]. Ça a été le cas de quatre personnes chez nous. Je n’ai jamais eu autant de démissions depuis un an. On a adapté le travail à l’homme plutôt que l’inverse. Le management de proximité était totalement disproportionné », note Alexis Berthel, DRH de l’entreprise de sécurité Panthera.
La question du sens au travail et celle de l’équité face aux réorganisations sont récurrentes depuis le début de la crise sanitaire. La Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), depuis plusieurs mois déjà, travaillait à résoudre les problèmes d’équité face à la généralisation du télétravail.
Tous les métiers ne sont pas éligibles au télétravail. « On a accordé un jour de télétravail à tous les non-télétravailleurs, qu’on a affecté à des missions administratives, et dans un second temps pour ceux qu’on ne pouvait pas mobiliser sur site, on a créé une nouvelle mission en coopération avec d’autres services publics. Pour tous, c’était important de se sentir utiles pendant le Covid. On a coordonné les compétences comportementales des chauffeurs, des électriciens de la CNAV, au côté d’autres personnels de la protection judiciaire et du ministère de l’intérieur réunis sur une plate-forme téléphonique pour prendre contact avec les personnes âgées », raconte Jérôme Friteau, le DRH de la CNAV.
Paradoxe
Pour Ipsen, si le Covid a permis d’innover, c’est en faisant « tomber les barrières réglementaires, physiques et psychologiques. Par exemple, on avait la solution pour contacter les patients et leur donner accès aux médicaments sans passer par l’hôpital, mais jusqu’alors c’était obligatoire. Avec le Covid on a vu les barrières tomber », explique Régis Mulot, le DRH du groupe pharmaceutique.
« Il y a eu un violent choc extérieur. L’Etat est intervenu dans les entreprises pour les empêcher de fonctionner. Or c’est sur le terrain que se prennent les décisions. Il y a une revendication de l’entreprise à être un lieu collectif qui doit être autonome pour se gérer », observe Jean-Marc Daniel.
Amazon a misé « sur l’énergie des petits groupes en mettant en commun sur la base du volontariat des groupes de six à huit personnes pour créer des solutions de développement », indique la DRH France Anne-Marie Husser.
Enfin, aussi paradoxal que ça puisse paraître, cette année de Covid a redoré le blason du salariat. « Le recours au free-lance était une réponse à une rigidité de l’organisation. A l’avenir, on misera davantage sur les salariés », affirme M. Mulot. De son côté, Dominique Brard, la directrice générale Talent Solutions de ManpowerGroup, renchérit : « En 2019, dans les plans de départs volontaires et les ruptures conventionnelles collectives, près de 30 % de salariés créaient leur entreprise. Aujourd’hui c’est beaucoup moins, près de 10 %. On va revenir au salariat. »
Pour Jean-Marc Daniel, « on est dans une phase où les gens ne veulent ni de la “léthargie de l’ennui, ni des convulsions de l’inquiétude”, selon l’expression de Voltaire. Dans les entreprises, 2020 a été l’année de l’adaptation subie et de l’innovation voulue », a conclu l’économiste.